Conference | Paper

La continuité sans rupture de l'oral et de l'écrit dans la poésie contemporaine: ponctuation étendue, accentuation, unités de discours

Michel Favriaud

Wednesday 4th December 2019

17:30 - 18:15

La poésie écrite, même visuelle, se donne à lire, oraliser, performer, écouter. La poésie sonore s‘écrit, trouve sa ponctuation et se lit silencieusement. La poésie fait le pont entre écrit et oral, depuis Homère au moins: cet oral-là était scriptural. La notion de phrase, typique de l’écrit, du moins pour Benveniste, ne semble pas suffire à la description de la structuration des poèmes, en vers ou en prose: les notions de vers, de période, peut-être d’autres unités discursives encore, antérieures même à la notion de phrase, semblent toujours nécessaires à la mise au jour de sa syntaxe plurielle: et la notion dix-huitièmiste de phrase (Seguin) était latente dans la poésie même de la Haute Antiquité.

Surgie du blanc,la poésie écrite n’existe pas sans ponctuation, si on ne limite pas celle-ci à la ponctuation noire: elle amorce la théorie pratique de la ponctuation blanche et celle de la ponctuation grise par la mise en scène graphique, depuis Mallarmé au moins, et pose la question de leur traduction ou interprétation orale. Tous les ponctuants des trois tiroirs du plurisystème ponctuationnel (Favriaud2014), partagent les mêmes rôles fondamentaux de segmentation-liaison, d’énonciation-hiérarchisation-modalisation, et de mise en acte (actualisation) et en rythme du discours, comme le font à l’oral les marqueurs d’intensité, de hauteur, de débit, de pause qu’on pourrait appeler (proto)ponctèmes.

Dans le dernier tiers du XXè s., le renouveau des études de ponctuation initié par Catach dans l’aire francophone et Nunberg dans l’aire anglophone a eu tendance à reproduire l’agôn entre oral et écrit, de mise (historiquement peut-être nécessaire) dans ces années-là, dont Nunberg et Anis ont été les champions, autonomistes et énonciativistes, coupant l’écrit de l’oral et tenant la ponctuation comme phénomène spécifique de l’écrit (Anis, malgré son article sur Malllarmé). Catach au contraire, peut-être grâce à l’orthographe (qui par certains côtés récuse l’oral, par d’autres l’accuse) a tenté de maintenir un rapport fondamental, quoique sans coïncidence absolue,entre ponctuation (d’écrit) et oral.

N’y a-t-il pas à l’oral non seulement des périodes, au sens de Berrendonner,de Lacheret, voire de Blanche-Benveniste, mais aussi des phrases, voire d’autres unités discursives qu’activeraient peu ou prou non seulement des marqueurs suprasegmentaux comparables à des ponctuants,mais encore des schémas syntaxiques véhiculés par l’école et la culture, comme le suggérait déjà Seguin ? N’y a-t-il pas à l’écrit,en retour, des traces vives d’oralité silencieuse ou proférable, des unités complémentaires de la phrase qui participent à l’actualisation, à la structuration et à la mémorisation des discours, que les linguistiques de l’oral ont explorées, en les prenant pour des spécificités radicales?

Nous essaierons de soutenir la thèse, par la poésie contemporaine, que les structurations de l’oral et de l’écrit, sans coïncider exactement, sont moins éloignées qu’on ne pense, et qu’elles peuvent s’entr’éclairer; que la ponctuation étendue et les unités de discours innervent les deux régimes, mais dans des proportions différentes et avec des modalités d’évidence en partie cachées. Nous défendrons ainsi la présence dans le régime écrit comme dans le régime oral d’unités manifestes, quoique toujours contestées,et d’unités émergentes, semi-masquées. Le bénéfice final pourrait en être un élargissement des notions de ponctuation, de phrase et de période notamment,devenant ainsi moins spécifiques de tel régime discursif, et peut-être plus translinguistiques et trans-sémiotiques qu’on ne l’admet ordinairement.