Conference | Paper

Pourquoi et comment utiliser la distinction écrit/oral dans l'étude des noms d'humains?

Catherine Schnedecker , Paul Cappeau

Wednesday 4th December 2019

16:00 - 16:45

Depuis au moins Vaugelas (1647), l’idée que des faits de langue (en lexique et en syntaxe) ne se manifestent pas de façon semblable à l’écrit et à l’oral est plus ou moins admise. Il s’agit toutefois, chez cet auteur, d’une ligne de partage parmi d’autres. Des distinctions sont notamment établies selon leslocuteurs (la Cour, la partie la plus saine de la Cour, les bons auteurs, les anciens écrivains, etc.), les genres textuels (la prose, les vers, la parodie, etc.) ou les styles (le style bas, etc.). Notre présentation nous conduira à nous interroger sur la pertinence de la distinction entre oral et écrit dans l’analyse linguistique. Pour cela, nous prendrons appui sur les noms d’humains généraux, qui permettent d’aborder des questions liées au lexique et à la syntaxe.

Les noms d’humains généraux, réputées synonymes, comme homme, gens, individu, personne, regroupent un ensemble d’unités à la fois homogènes par certaines caractéristiques générales (comme la désignation de référents humains) et très diversifiées par leur fréquence (variable selon les ressources consultées) et leurs propriétés syntaxiques. L’observation de l’usage s’avère précieuse pour apprécier non seulement les emplois en synchronie mais aussi des trajectoires d’évolution très différentes, reflet des changements qui touchent certains d’entre eux. Dans la constitution de corpus et dans les analyses, peut-on se satisfaire de contraster oral et écrit? Les divers items retenus permettront de montrer que,si cette opposition permet parfois de distinguerde façon assez tranchée des fonctionnements, dans certainscas,d’autres paramètres (diatopiques, diastratiques) semblent plus saillants.

Nous examinerons notamment les unités suivantes :

  • gens qui a amorcé un mouvement de pronominalisation, commun aux noms d’humains dans de nombreuses langues (Haspelmath: 1997; Marchello-Nizia: 2006). Or, cette évolution, qui n’est pas encore enregistrée par les grammaires, n’est sensible qu’à travers une analyse comparée des emplois écrits vs oraux. La comparaison est encore plus frappante lorsque l’on ajoute une dimension diachronique qui permet de mieux apprécier les changements syntaxiques (expansion et fonction syntaxique) qui affectent ce syntagme (Cappeau & Schnedecker 2014);

  • individu(s). L’un des aspects les plus caractéristiques de cette forme concerne sa présence plus importante dans quelques domaines/types de production (scientifiques ou faits divers) dont découlent les cooccurrences plus régulières avec certains déterminants (comme les quantifieurs) ou certains adjectifs (louches...). L’appui sur des données orales présente un intérêt moindre puisque les genres concernés s’y manifestent moins (Cappeau & Schnedecker 2018);

  • mec(s). L’analyse de ce nom peut suivre deux directions. En tant que nom d’humain général, il s’insère dans un paradigme et l’on doit chercher à le différencier des autres membres (homme, personne, gars...). Si la différence de médium permet d’opposer deux séries (homme/personne/individu vs mec), il faut noter que c’est plutôt un oral familier qui doit être observée (Gadet 2017) pour mieux dégager les singularités de mec (Cappeau & Schnedecker 2017). Une opposition à trop gros grain (oral vs écrit) n’est sans doutepas suffisante. Une autre piste d’analyse concerne la possible évolution de meccomme marqueur discursif, évolution suivie par des noms d’humains dans d’autres langues (Kleinknecht & Souza, 2017). La proximité entre les locuteurs (Koch & Oesterreicher, 2001) est alors le paramètre déterminant pour pouvoir recueillir des données intéressantes (small talks, tchats, blogs, etc.) en quantité suffisante et la variation de médium apparaîtsubordonnée à ce paramètre.

Ces divers exemples montrent à quel point une dichotomie, parfois précieuse, de type «oral vs écrit» doit être discutée etcomplétée voire remplacée,lorsqu’il s’agit de rendre compte de variétés dans l’usage lexical et lorsqu’il s’agit de différencier les emplois aussi bien en synchronie qu’en diachronie.