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(2000) Le Portique 5.

L'Europe et l'avenir de la philosophie

Manuel de Diéguez

Au cours du xxe siècle, l’Europe a perdu son rang de première civilisation planétaire et sa prééminence politique – une puissance étrangère domine toutes les mers du globe et occupe les ports de la Méditerranée. Traquée par l’afflux des cultures soucieuses seulement de se ménager un territoire, la philosophie a oublié sa vocation bimillénaire de conquérir l’universalité de la connaissance rationnelle sur les chemins de la pensée critique. Mais cette dérive alexandrine pourrait conduire à une nouvelle Renaissance, celle des conquêtes de « l’intelligence et d’elle seule », comme disait Platon, si une anthropologie historique profonde convertissait Socrate à une exploration psychique du règne des médiations imaginaires. Le retrait conjoint des rêves théologiques et des ivresses idéologiques permettrait de poser la seule question décisive, celle qui a marqué tout le xxe siècle au fer rouge : quelle est l’animalité propre à l’homme et dont témoigne la spécificité des crimes collectifs conçus comme sotériologiques ? Pour interroger l’avenir de la philosophie sur ce terrain décisif, il faut tenter de réinterpréter le transformisme afin d’apprendre à scruter la condition humaine la plus originelle et y voir le fondement psychogénétique de la science historique. À partir d’un regard sur l’animalité particulière à une espèce à demi évadée de la zoologie, cérébralisée et livrée aux vertiges de l’imaginaire par sa panique devant le néant, il devient possible de tracer une esquisse de la conscience exorcisante. L’introduction dans le cogito occidentale d’un problématique de l’animalité transbiologique réintroduit la ciguë de la lucidité dans le « connais-toi » socratique qui est, disaient les Grecs,  – « poison » et « remède » confondus – et les modernes, « mort » et « éveil ». Peut-être la philosophie européenne du xxie siècle rappellera-t-elle à l’Occident que, depuis Isaïe, l’esprit s’appelle l’intelligence. De brefs coups de sonde dans une histoire revisitée par des chromosomes rappellent que l’avenir de la philosophie est un rêve à féconder.

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Full citation:

de Diéguez, M. (2000). L'Europe et l'avenir de la philosophie. Le Portique 5, pp. n/a.

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