Adjectifs, je vous ai à l'œil!

Christian Surcouf

pp. 297-329

Résumé : Dans la lignée de la tradition grammaticale, la linguistique contemporaine continue de décrire comme caractéristique définitoire de l’adjectif sa variation en genre et en nombre, bien que, au moins depuis l’étude quantitative de Séguin (1973), on sait que seulement 1/3 des adjectifs s’accorde en genre, et, comme le montre cet article, seulement 4% en nombre, aucun en genre et en nombre. Pourtant, la définition traditionnelle reste largement usitée. En nous fondant sur les descriptions offertes par deux grandes grammaires linguistiques contemporaines, nous montrerons en quoi il est épistémologiquement fondamental de différencier les niveaux oral et écrit pour éviter le risque de faire passer pour une description de la morphologie adjectivale ce qui relève en définitive du fonctionnement idiosyncrasique de l’orthographe du français.

Publication details

DOI: 10.19079/lde.2022.s3.10

Full citation:

Surcouf, C. (2022). Adjectifs, je vous ai à l'œil!. Linguistique de l’écrit 3, pp. 297-329.

Pages

Lines

File clean-up May 2, 2022, 10:46 am sdvig press ( )

1 | Introduction

1En général, la quête de scientificité et d’objectivité dans les écrits linguistiques rend peu propice l’expression de l’étonnement des linguistes face à leurs données. Pourtant, dans son étude très fouillée sur l’accord en genre des adjectifs du français, après avoir constaté que « des 11 664 adjectifs relevés dans le lexique, 67% sont invariables en genre oral », Séguin (1973, 54) avoue qu’un tel résultat « surprend assez par rapport à la définition habituelle de l’adjectif ». Catach, Gruaz & Duprez (1995/2010, 207) partagent cet étonnement : « pour les adjectifs, les alternances orales […] sont absentes dans 67% des cas, ce qui ne manque pas de surprendre ». Quelle serait donc cette « définition habituelle de l’adjectif » (Séguin 1973, 54) à l’origine de cette surprise ? Ouvrons deux grammaires contemporaines rédigées par d’autres linguistes. La grammaire d’aujourd’hui rapporte effectivement que « l’adjectif est affecté par les catégories du genre et du nombre, selon les règles d’accord avec l’élément nominal », et précise quelques lignes plus loin que « comme le nom, l’adjectif comporte une forme de singulier et une forme de pluriel. Mais il comporte aussi une forme de masculin et une forme de féminin » (Arrivé, Gadet & Galmiche 1986, 34). De même, la Grammaire méthodique du français1 explique – de manière quelque peu polyphonique2 – que « selon la formule consacrée, "l’adjectif s’accorde en genre et en nombre avec le nom auquel il se rapporte" ». Les auteurs précisent alors :

Pour le nombre, l’adjectif fonctionne comme le nom : il oppose une forme du singulier à une forme du pluriel. Pour le genre, […] l’adjectif présente un genre variable (masculin ET féminin), que lui confère le terme nominal auquel il se rapporte. […] Chaque adjectif comporte donc quatre formes (fort/forte/forts/fortes), mais qui ne sont pas toujours distinctes. (Riegel et al. 2009, 603)

2D’un point de vue scientifique, l’évocation de « quatre formes […] pas toujours distinctes » ne peut qu’interpeler par son caractère énigmatique. Une formulation proche lui fait écho dans La grammaire d’aujourd’hui : « À la seule réserve des adjectifs tels que bot ou enceinte, les adjectifs sont tous affectés par la variation en genre. Cependant, l’opposition des deux genres est loin d’être constamment manifestée au niveau du signifiant » (Arrivé et al. 1986, 39-40). Si les adjectifs sont « tous » censés être « affectés par la variation en genre », comment concilier cette remarque avec le fait qu’« au niveau de la manifestation orale, les 2/3 des adjectifs ne marquent pas l’opposition des genres. Au niveau de la manifestation écrite, […] 42% » (Arrivé et al. 1986, 40)3 ? Pour leur part, les auteurs de la Grammaire méthodique du français expliquent que : « d’après le nombre de leurs formes effectivement différentes, ils se répartissent en quatre classes à l’écrit et deux classes à l’oral, exception faite de quelques emprunts que leur forme rend invariables » (Riegel et al. 2009, 603). Si l’exemple entre parenthèses « (fort/forte/forts/fortes) » semble justifier la mention de « quatre formes », indiscutablement différentes à l’écrit, pourquoi ajouter « pas toujours distinctes » ? Une telle formulation ne trahirait-elle pas l’enchevêtrement de deux niveaux d’analyse ? La première décrirait ainsi le fonctionnement propre au système d’écriture, soit ici, l’orthographe du français. La seconde porterait en revanche sur les fonctionnements de la langue (voir 2.5 & 2.6), dont les auteurs rappellent dans leur avant-propos qu’elle est « d’abord et avant tout parlée » (Riegel et al. 2009, XXX), précision à priori déterminante pour une « approche résolument linguistique » (2009, XXIX), censée se démarquer, rapportent-ils ailleurs, de « la tradition grammaticale [qui] prend implicitement pour objet la langue écrite et, de ce fait, néglige ou ignore la langue orale » (2009, 60). Pourtant, spécifier que « chaque adjectif comporte […] quatre formes » (2009, 603) semble bel et bien ancrer la description dans la continuité de « la tradition grammaticale », et son attention à « la langue écrite ». Au début du siècle dernier, Brunot (1932) condamnait déjà ce biais repéré dans la Grammaire de l’Académie française :

La Compagnie guérirait aussi de ce fétichisme de l’orthographe, qui l’a si souvent égarée, et s’est interposé entre son analyse et les faits réels, cachant la vérité du langage sous l’apparence de l’écriture. On ne verrait plus pêle-mêle des féminins purement graphiques confondus avec des féminins vrais. (Brunot 1932, 125)

3Quels seraient donc ces « faits réels », cette « vérité du langage » qu’évoque Brunot (1932, 125) ? Comment expliquer que la mise en évidence d’un fonctionnement langagier aussi banal et fréquent que celui de l’accord en genre de l’adjectif puisse susciter l’étonnement chez des spécialistes, natifs, de la langue ? Que révèlerait cet étonnement sur leurs représentations langagières et linguistiques ? Sur les nôtres ?

4Dans cet article, en prenant l’accord de l’adjectif qualificatif comme point de départ, nous examinerons quelques-uns des enjeux épistémologiques relatifs à l’entreprise de description linguistique en interrogeant notamment le rôle qu’y jouent implicitement – et la plupart du temps sans discussion – l’écrit et l’orthographe.

2 | L’accord de l’adjectif qualificatif

Question d’arithmétique : 2x2=4 ?

5Rappelons la description des deux grammaires citées plus haut :

Comme le nom, l’adjectif comporte une forme de singulier et une forme de pluriel. Mais il comporte aussi une forme de masculin et une forme de féminin. (Arrivé et al. 1986, 34) Pour le nombre, l’adjectif fonctionne comme le nom : il oppose une forme du singulier à une forme du pluriel. Pour le genre, […] l’adjectif présente un genre variable (masculin ET féminin), que lui confère le terme nominal auquel il se rapporte. (Riegel et al. 2009, 603)

6Du croisement de ces deux paramètres semblerait effectivement découler que « chaque adjectif comporte donc quatre formes » (Riegel et al. 2009, 603), que l’on pourrait présenter dans chacune des cases du tableau suivant :

singulier pluriel
masculin X1 X3
féminin X2 X4
Tableau 1 – Les quatre formes potentielles résultant du croisement du genre et du nombre

7Les « quatre formes (fort/forte/forts/fortes) » (Riegel et al. 2009, 603) pourraient ainsi le remplir :

singulier pluriel
masculin fort forts
féminin forte fortes
Tableau 2 – Une présentation possible de « chaque adjectif comporte donc quatre formes » (Riegel et al. 2009, 603)

8Si le tableau 2 sied à l’explicitation du fonctionnement du marquage orthographique du nombre et du genre, les « faits réels » (Brunot 1932, 125) donneraient quant à eux uniquement les deux formes suivantes :

singulier pluriel
masculin [fɔʁ]
féminin [fɔʁt]
Tableau 3 – Une justification possible de « mais qui ne sont pas toujours distinctes »… (Riegel et al. 2009, 603)

9À ce stade, on pourrait clarifier la description de Riegel et al. (2009, 603) et proposer – provisoirement – la reformula|tion : « chaque adjectif comporte quatre formes écrites, pas toujours distinctes à l’oral ». Ainsi, pour le masculin, les deux formes <fort> et <forts>4 seraient indistinguables dans [fɔʁ]. Bien que préférable, cette formulation n’en occulte pas moins le positionnement épistémologique qui la sous-tend. Peut-on en effet fonder l’entreprise descriptive de la linguistique – à fortiori en morphologie – sur la forme orthographique5 sans interroger le type de relation qu’entretient le système d’écriture avec la langue ? Dans un système alphabétique comme le nôtre, dont l’essentiel du fonctionnement repose sur la segmentation en phonèmes et leur transposition en graphèmes6, trois options théoriques sont envisageables ici :

10Seule l’option i), qui reposerait sur une parfaite homologie entre le système d’écriture et la langue parlée, garantirait la justesse de la description, quel que soit le point de vue adopté. Mais comme le signalent Riegel et al. (2009, 605), « la variation en genre gagne à être présentée d’un point de vue contrastif (oral/écrit). À l’oral, les 2/3 des adjectifs ne marquent pas l’opposition des genres […], alors que plus de la moitié la marquent à l’écrit ». Cette disparité dans les proportions exclut d’emblée l’option i). Sans surprise7, il n’y a pas d’homologie entre l’oral et l’écrit au niveau de la morphologie de l’adjectif (ni véritablement ailleurs, voir Mahrer 2019, note 9).

La forme, pas les formes : de l’invariabilité de l’adjectif en français

11Insistons sur le fait que l’absence d’homologie impose la question épistémologique fondamentale de la perspective à adopter pour entreprendre de décrire les fonctionnements de la langue. Doit-on fonder l’analyse sur l’écrit et/ou l’oral ? Une telle question, sur laquelle nous allons revenir plus loin, est rarement abordée de front par les linguistes en dépit de son caractère déterminant pour la conduite même de toute entreprise de description, à fortiori quand il s’agit de morphologie. Même en l’absence d’argumen|taire explicite à ce propos, les formulations qui jalonnent les grammaires trahissent en général une hiérarchisation tacite entre oral et écrit (voir également Surcouf 2021). La suite de la citation déjà présentée plus haut s’avère révélatrice à cet égard :

Chaque adjectif comporte donc quatre formes (fort/forte/forts/fortes), mais qui ne sont pas toujours distinctes. D’après le nombre de leurs formes effectivement différentes, ils se répartissent en quatre classes à l’écrit et deux classes à l’oral, exception faite de quelques emprunts que leur forme rend invariables (fair play, schlass, in). (Riegel et al. 2009, 603)

12L’écrit est ici évoqué en premier. La présentation ultérieure de ces six classes suit ce même ordre. Apparaissent tout d’abord les formes écrites des adjectifs, à « 2 formes : agile/agiles », « 3 formes : doux/douce/douces […] », « 4 formes : seul/seule/seuls/seules […] », et « 5 formes : beau/bel/belle/beaux/belles […] » (Riegel et al. 2009, 603-604). Viennent ensuite les formes orales (paradoxalement listées sous leurs formes orthographiques) : « 1 seule forme : agileagiles ; purpurepurspures ; partielpartiellepartielspartielles », « 2 formes : gris/grisegrises […] génialgénialegéniales/géniaux […] beaubeaux/belbellebelles » (2009, 604). Par ailleurs, alors que les auteurs signalent « quelques emprunts que leur forme rend invariables », l’invariabilité n’est pas envisagée dans le cas des adjectifs à une forme orale – [aʒil], [pyʁ] ou [paʁsjεl] –, pourtant indiscutablement invariables si l’« on appelle invariables les mots qui n’ont pas de flexion » (Dubois, Giacomo, Guespin, Marcellesi, Marcellesi & Mével 1994, 256). Riegel et al. (2009, 898) reconnaissent qu’« une grande partie des morphèmes grammaticaux impliqués dans les différents mécanismes de l’accord ne se réalisent pas dans la forme orale des énoncés ». Non seulement « à l’oral, les 2/3 des adjectifs ne marquent pas l’opposition des genres » (2009, 605), mais « à l’oral, l’opposition du nombre est presque exclusivement marquée par la forme des déterminants » (2009, 275). Considérant avec Creissels (1995, 2) qu’« on ne peut appréhen|der correctement le fonctionnement d’une langue qu’en prenant par rapport à cette langue le recul que seule permet l’approche contrastive », examinons le comportement morphologique de l’adjectif [pyʁ] en le comparant à celui de ses équivalents anglais et espagnol :

il est [pyʁ] he is [pjʊr] (él) es [puro]
elle she (ella) [pura]
ils sont they are (ellos) son [puros]
elles (ellas) [puras]
Tableau 4 – Aperçu du comportement morphologique d’un adjectif en trois langues

13Si l’espagnol montre sans équivoque une variation en genre et en nombre (quatre formes), les adjectifs français et anglais ont en revanche un comportement identique et une seule forme, que toute analyse objective conduirait à qualifier d’invariable8. Dès lors pourquoi des adjectifs comme [pyʁ], [aʒil], [paʁsjεl] échapperaient-ils à ce constat scientifique9 ? Il semblerait que le critère d’invariabilité convoqué ici par Riegel et al. (2009, 603) repose non pas sur l’existence d’une forme orale unique [pyʁ], [aʒil], etc. mais sur l’absence de tout marquage orthographique. En témoignerait l’exemple suivant, où la forme [fø], pourtant unique, est jugée « invariable » dans le premier cas, mais pas dans le second : « antéposé au déterminant, l’adjectif feu […] est invariable (feu la princesse, feu ma mère), mais s’accorde avec le nom s’il le précède immédiatement (la feue princesse, ma feue mère) ». Une telle conception orthographique de l’accord s’inscrit dans la tradition grammaticale ou lexicographique, consistant à considérer comme invariables les mots dont l’orthographe – par convention10 – reste fixe. Encore très récemment Blanche-Benveniste déplorait une telle emprise de l’orthographe :

Les analyses grammaticales ont été pendant si longtemps si fortement ancrées dans l’orthographe qu’il est difficile de s’en émanciper. Par exemple, pour renoncer à la différence entre catégories « variables » et « invariables », faite uniquement de marques orthographiques, il faut en prévoir les conséquences sur le classement en catégories grammaticales. (Blanche-Benveniste 2010, 1)

14Effectivement, si, sur la base d’une analyse fondée sur l’orthographe, le linguiste observe que « l’adjectif présente un genre variable » (Riegel et al. 2009, 603), alors il peut à priori en conclure que « la variation en genre est […] une propriété définitoire de cette catégorie » (Huot 2001, 107). Un tel raisonnement pose néanmoins problème d’un point de vue épistémologique si la prémisse sur laquelle il est censé reposer s’avère erronée ou insuffisamment représentative de la catégorie étudiée. Si seulement un tiers des adjectifs varie en genre (Séguin 1973, 54), le choix d’une telle variation comme critère définitoire parait pour le moins discutable. Mais la question de l’emprise du fonctionnement orthographique dénoncée par Blanche-Benveniste (2010, 1)11 est parfois plus délicate à détecter. Alors qu’on peut aisément montrer que la formulation « l’adjectif s’accorde en genre et en nombre avec le nom auquel il se rapporte » (Riegel et al. 2009, 603) ne reflète pas le comportement morphologique des adjectifs (voir 2.6), plus difficile à critiquer directement s’avère en revanche la formulation de La grammaire d’aujourd’hui : « l’adjectif est affecté par les catégories du genre et du nombre, selon les règles d’accord avec l’élément nominal » (Arrivé et al. 1986, 34). L’adjectif pourrait-il être « affecté » de diverses manières, en conformité avec les comportements effectivement observés ? Ailleurs, les auteurs répondent en partie à cette question en signalant des formes identiques « notamment à l’oral » 12 :

les formes de masculin et de féminin, de singulier et de pluriel sont souvent identiques, notamment à l’oral : fragile, indistinctement masculin et féminin, ne se distingue de fragiles pluriel commun aux deux genres, que dans l’écriture. À l’oral, il n’y a que la forme [fʁaʒil] pour les quatre termes des deux catégories. (Arrivé et al. 1986, 24).

15Toutefois, ils s’empressent d’ajouter :

Mais cette non-manifestation de l’accord ne doit pas faire penser que l’accord ne se fait pas : le choix d’un autre adjectif le ferait apparaitre. (Arrivé et al. 1986, 24)

16En somme, les auteurs semblent considérer « la variation en genre » comme une « propriété définitoire » de l’adjectif (Huot 2001, 107) au point que, même en l’absence de toute marque audible, il serait incorrect de « penser que l’accord ne se fait pas »13. En d’autres termes, ils préfèrent inscrire leur analyse dans la lignée de la définition canonique de l’adjectif, supposé « s’accorde[r] en genre et en nombre avec le nom auquel il se rapporte » (Riegel et al. 2009, 603), plutôt que d’envisager comme invariables les adjectifs à forme unique comme [fʁaʒil].

17Dans sa monographie sur l’adjectif en français, Noailly (1999, 11) commente ce parti pris théorique : « on a pu alléguer que les adjectifs […] seraient variables en genre aussi bien qu’en nombre. Mais cette croyance, sans être mythique, demande à être sérieusement tempérée ». L’auteure préconise en effet de « prendre en compte le fait que beaucoup […] ne marquent pas la variation masculin/féminin » (1999, 11). Noailly offre alors un compromis permettant de concilier positionnement théorique et observation des faits :

quand l’adjectif n’est pas modifié dans sa forme […], on peut continuer à parler, si l’on veut, de variation de genre, mais à condition qu’on comprenne bien par là seulement la capacité qu’il a, sous une forme unique, à qualifier indifféremment un substantif masculin ou féminin. (Noailly 1999, 11)

18Si l’on admet la dimension empirique de la linguistique (Lerot 1993, 14s), un tel point de vue parait épistémologiquement difficile à défendre. Comment peut-on en effet déclarer « variables en genre » (Noailly 1999, 11) des adjectifs sans aucune variation observable ? Ne serait-ce pas là dévoyer le sens même du terme « variable » ? 14

Comment glisser l’oral dans le silence de la page ? Le défi oublié

19S’il nous est impossible de trancher sur l’origine et les raisons de ce parti pris théorique, il est clair que ces descriptions – et les ambigüités qu’elles véhiculent sur la nature exacte de l’objet qu’elles ciblent – semblent davantage représenter le fonctionnement du système d’écriture que celui de la morphologie du français. À ce propos, revenons plus en détail sur la description de Riegel et al. (2009, 603) : « chaque adjectif comporte donc quatre formes (fort/forte/forts/fortes), mais qui ne sont pas toujours distinctes », et, dans la lignée des tableaux 2 et 3, essayons maintenant de reconstituer les étapes possibles du raisonnement ayant conduit à cette affirmation15. Dans sa formulation, l’énoncé dévoile à priori deux étapes d’observation et deux niveaux d’analyse.

20Dans un premier temps, conditionné – à son insu – par la matérialité du support écrit lui permettant de développer son raisonnement16, le linguiste observe les formes orthographiques, qu’il a lui-même listées entre parenthèses sous cette forme sur sa propre page17. Elles synthétisent le comportement morphographique18 qu’imposent les mécanismes de l’orthographe française. Ses formes sont incontestablement au nombre de quatre.

21Dans un second temps, le linguiste songe à la manière dont ces quatre formes se lisent. Il constate alors qu’elles n’ont que deux formes orales. Par souci de cohérence avec cette deuxième observation, il complète son assertion en spécifiant que les « quatre formes » préalablement identifiées à l’écrit ne sont « pas toujours distinctes ». En inversant ces deux étapes, c’est-à-dire en partant de l’oral (donnée première, voir 3) pour aller vers l’écrit (représentation de cette donnée première), le linguiste aurait observé que cet adjectif – comme l’immense majorité des autres (voir tableau 8) – est invariable en nombre, et que les deux formes [fɔʁ] et [fɔʁt] ne deviennent « quatre formes » <fort>, <forts>, <forte>, <fortes> qu’en vertu des principes morphographiques du système d’écriture du français.

22Si notre reconstitution est exacte, elle illustrerait le rôle déterminant – et pour la description morphologique, néfaste – que joue l’écrit en tant qu’outil de description (voir 2.4). Il est fort probable qu’une explication exclusivement formulée à l’oral aurait mené à l’identification des seules formes [fɔʁ] et [fɔʁt], soit deux, contre quatre dans la démarche inverse. Une telle approche aurait d’ailleurs le mérite de répondre à l’exigence épistémologique formulée, entre autres, par Lerot (1993, 35) : « seules les grammaires fondées sur la langue parlée peuvent prétendre décrire et expliquer scientifiquement une langue particulière » (voir également Saussure (de) 1916/1994, 74s). Si une telle exigence parait souhaitable pour la description morphologique, il faut néanmoins reconnaitre que sa mise en œuvre se heurte aux représentations collectives sur le fonctionnement de la langue, représentations abondamment nourries par des années de scolarisation, et l’apprentissage de « la grammaire scolaire française », entièrement « fondée sur l’orthographe » (Blanche-Benveniste 2003, 326), et dans la tradition de laquelle s’inscrivent aussi les grammaires linguistiques (voir à cet égard, le traitement du « written language bias » chez Linell 2005) Si par exemple l’avant-propos de la Grammaire méthodique du français stipule : « Sans renier les apports d’une longue tradition grammaticale, véritable réservoir de données empiriques et analytiques, les auteurs se sont résolument inspirés des acquis de la linguistique contemporaine et, à l’occasion, de ses plus récents développements », ils n’en écrivent pas moins, dans le cas qui nous concerne ici (nous soulignons), « selon la formule consacrée, "l’adjectif s’accorde en genre et en nombre avec le nom auquel il se rapporte" » (Riegel et al. 2009, 603), s’inscrivant effectivement dans la lignée de Bescherelle (1835-1836, 216), qui, au début du XIXe siècle, expliquait déjà : « Dans toutes les circonstances, l’adjectif s’accorde en genre et en nombre avec le nom auquel il se rapporte et qu’il qualifie »..

La langue, objet et outil, oral ou écrit

23Dans une langue vivante pourvue d’un système d’écriture, le linguiste peut opérer un choix entre les productions langagières orales ❶ ou écrites ❷, sachant que la langue écrite ne peut pas exister indépendamment d’une langue orale20. En somme, aussi légitime soit toute entreprise de description des fonctionnements de la langue écrite, le linguiste doit tenir compte des répercus|sions épistémologiques de la primauté de l’oral. Ainsi doit-il reconnaitre que :

  1. La langue écrite (❷) dépend de l’existence préalable de la langue parlée (❶), quelles que soient les modifications qu’est susceptible d’entrainer l’apprentissage ultérieur de l’écrit ;
  2. Décrire ❷ n’est pas l’équivalent de décrire ❶ ;
  3. Bien qu’en vertu de (A), la description de la langue écrite permette d’accéder aux fonctionnements qu’elle possède en commun avec la langue orale, fondamentale s’avère toutefois l’identification des spécificités de l’une et de l’autre (voir Jahanderie 1999, 131-149), notamment, pour l’écrit, celles résultant de l’influence des contraintes de fonctionnement du système d’écriture et des conventions rédactionnelles ;
  4. Pour des raisons de représentativité, les descriptions doivent refléter quantitativement les pratiques langagières effectives des locuteurs-scripteurs.

24Si c’est l’absence d’homologie entre ❶ et ❷ qui impose de telles précautions épistémologiques, toutes les dimensions langagières ne sont pas affectées de la même manière (voir tableau 9). Étant donné qu’une forme d’autonomie existerait entre « deux morphologies typologiquement différentes pour le français parlé et le français écrit » (Béguelin 2012, 46), le linguiste devra envisager langues écrite et orale selon leurs caractéristiques propres, et éviter de plaquer les analyses de la première sur la seconde. À ces premières précautions épistémologiques s’en ajoutent d’autres, relatives à la fonction métalinguistique de la langue. En effet, dans une langue pourvue d’un système d’écriture, cette métalangue présente à son tour la caractéristique particulière de pouvoir se décliner sous deux formes : orale ou écrite, autorisant mécaniquement quatre configurations, selon que l’objet à décrire (la langue-objet), et l’outil de description (la langue-outil) apparaissent sous leur forme orale ou écrite (la congruence de nature entre objet et outil est signalée par =, la non-congruence par ≠) :

Langue
Objet Outil
(a) oral oral = (dimension sonore conservée)
(b) oral écrit (changement de nature, transcodage nécessaire)
(c) écrit écrit = (dimension sonore absente)
(d) écrit oral (changement de nature, transcodage nécessaire)
Tableau 5 – Les quatre configurations résultant de la nature orale ou écrite de l’objet et de l’outil

25La question est maintenant de savoir si ces quatre configurations seraient équivalentes et donc interchangeables sans aucune incidence sur la description linguistique. Nous n’évoquerons ici que les trois premières. Seules sont congruentes (=) les configurations (a) (l’oral décrit l’oral), et (c) (l’écrit décrit l’écrit). Si pour les raisons ontogénétique et quantitative (Berruto & Cerruti 2011, 15 ; Lyons 1972, 63), la configuration théorique (a) offre l’avantage de respecter la primauté de l’oral tout en autorisant une description préservant la dimension sonore, sa mise en œuvre souffre des limites imposées par la fugacité de l’oral, limites rédhibitoires pour l’accumulation des savoirs sur le long terme et la constitution d’un champ disciplinaire à part entière. Avec la configuration congruente (c) (l’écrit décrit l’écrit), un tel problème disparait grâce au caractère permanent de l’écrit. Aucun transcodage n’est ici nécessaire. Ainsi se voient grandement facilitées la collecte, l’intégration et l’analyse des exemples au sein des textes rédigés par linguistes et grammairiens sous forme d’articles spécialisés, de monographies, de grammaires ou de dictionnaires (voir note 16). Cette configuration demeure de loin la plus courante dans la tradition grammaticale et linguistique21.

26La configuration non-congruente (b), caractérisée par l’usage de l’écrit pour décrire l’oral correspond à la situation prototypique des ouvrages de référence papier, interdisant par la matérialité même de leur support l’intégration de toute donnée sonore. Même si l’on admet l’incontournabilité du recours à la langue-outil sous sa forme écrite pour mener les analyses linguistiques, il faut toutefois garder à l’esprit que « la notation de l’oral par écrit constitue une contradiction irréductible : l’écrit ne présentera jamais qu’une image approximative de la réalité linguistique orale » (Gadet 1996, 29s). En effet, cette configuration soulève le problème délicat du transcodage de l’oral vers l’écrit (Blanche-Benveniste & Jeanjean 1987, 115s ; Gadet 1996, 29s ; 2007, 41s), notamment la perte inévitable de la dimension sonore de l’oral dans le silence de l’écrit22. En dépit de ses li|mites, la transcription permet cependant de pallier les insuffisances de la mémoire à court terme face à la fugacité de l’oral (Blanche-Benveniste 2003, 321), qu’elle fixe et objective définitivement par écrit, le rendant observable et analysable à souhait. Cependant le recours à l’écrit n’est pas exempt de problèmes, plus ou moins sévères selon le phénomène oral traité. Dans le cas de la morphologie, si l’on admet la définition suivante du morphème, alors la prise en compte de la dimension sonore s’avère incontournable23 :

Le morphème doit satisfaire deux conditions :
i. Être un segment minimal dont la combinaison avec une autre entité phonologique de la langue donne un segment bien formé eu égard au système phonotactique de la langue.
ii. Être porteur d’une information sémantique stable (et d’une seule). (Fradin 2003, 31)

27Dès lors, seule l’analyse de la prononciation – ou de sa transcription phonétique – semble pouvoir assurer la justesse de la description : « it is important to focus on pronunciation and not spelling », « spelling often reflects the history of a word and not its synchronic analysis. Therefore, we cannot base our analysis on it » (Aronoff & Fudeman 2011, 20 & 21). En somme, prendre l’orthographe comme point de départ d’une analyse morphologique risque d’en affecter le résultat, quelle que soit par ailleurs la légitimité d’entreprendre la description du fonctionnement du marquage morphologique dans l’orthographe (voir Gak 1976, 265-273 ; Catach et al. 1995/2010, 203-212).

« Quatre formes mais pas toujours distinctes » ou « une forme mais toujours distincte » ?

28Pour donner un aperçu des enjeux d’une telle préoccupation épistémologique, comparons dans un premier temps les diverses configurations de l’oral, en relation avec celles de l’écrit. La colonne Cplx indique le taux de la complexification engendrée par les contraintes morphographiques du système d’écriture, c’est-à-dire l’accroissement du nombre de formes.

I ORAL sg. pl. ECRIT sg. pl. CPLX
m. [egal] [ego] m. égal égaux x 2
f. f. égale égales
II ORAL sg. pl. ECRIT sg. pl. CPLX
m. [fɔʁ] m. fort forts x 2
f. [fɔʁt] f. forte fortes
III ORAL sg. pl. ECRIT sg. pl. CPLX
m. [nwaʁ] m. noir noirs x 4
f. f. noire noires
IV ORAL sg. pl. ECRIT sg. pl. CPLX
m. [ʁuʒ] m. rouge rouges x 2
f. f.
V ORAL sg. pl. ECRIT sg. pl. CPLX
m. [maʁõ] m. marron x 1
f. f.
Tableau 6 – Les cinq cas de figure prototypiques24 des relations du nombre de formes des adjectifs à l’oral et à l’écrit

La « vérité du langage » (Brunot 1932, 125) par les chiffres

29Dans la lignée de l’étude de Séguin (1973), examinons donc la répartition quantitative de chacune des configurations ci-dessous, en nous fondant sur les 11 252 adjectifs de la base de données Flexique25, compilée par Bonami, Caron & Plancq (2014) : l’adjectif varie soit en nombre (I), soit en genre (II), ou est invariable (III-IV-V) (les pourcentages sont arrondis à la première décimale).

I sg. pl. 4% (N=452) des adjectifs ont deux formes et varient en nombre ; le masculin pluriel rime en [o], le reste du paradigme en [al].
4% m. [egal] [ego]
f.
II sg. pl. 35,1% (N=3955) des adjectifs ont deux formes et varient en genre. Les adjectifs issus du participe présent constituent environ un quart de cette catégorie (N=946) : [afliʒãt], [stimylãt], etc.
35,1% m. [fɔʁ]
f. [fɔʁt]
III-IV-V sg. pl. 60,8% (N=6845) des adjectifs sont invariables.
60,8% m. [nwaʁ]
f.
Tableau 7 – Proportions des adjectifs à une ou deux formes orales dans Flexique

30Récapitulons. L’invariabilité en genre touchant 64,8% (I+III-IV-V ; N=7297) des adjectifs (67,2% selon Séguin 1973, 54 ; 65% selon Blanche-Benveniste 2003, 328), l’assertion selon laquelle « l’adjectif s’accorde en genre […] » (Riegel et al. 2009, 603) n’est pas représentative de son fonctionnement. Étant donné que seulement 4% d’entre eux (I) varient en nombre (voir également Blanche-Benveniste 2003, 328), il semble encore plus discutable de considérer qu’il « […] s’accorde […] en nombre » (Riegel et al. 2009, 603). Enfin, aucun des 11 252 adjectifs de Flexique ne varie et en genre et en nombre. En somme, « la nature et la répartition de ces phénomènes morphologiques donnent aux variations de genre de la langue parlée des caractéristiques très différentes de celles qu’on présente habituellement à partir des formes orthographiées » (Blanche-Benveniste 2003, 328). Synthétisons les résultats de cet examen (1=varie ; 0=ne varie pas) :

Genre Nombre N % Exemple Constat sur la morphologie de l’adjectif
0 0 6845 60,83% [fãtastik] Il est majoritairement invariable
0 1 452 4,02% [egal]/[ego] Il ne varie presque jamais en nombre
1 0 3955 35,15% [vεʁt]/[vεʁ] Il varie une fois sur trois en genre
1 1 0 0% Aucun ne varie en genre et en nombre
Tableau 8 – Proportions des variantes orales de l’adjectif en fonction du genre et du nombre dans Flexique

3 | La langue, dans l’œil ou dans l’oreille ?

31En tant qu’« étude scientifique du langage et des langues » (Arrivé et al. 1986, 382), la linguistique dispose de trois options pour décrire une langue pourvue d’un système d’écriture, comme le français. Elle peut décrire :

32Ontogénétiquement, comme le rappellent Milroy & Milroy :

Writing […] is not a ‘natural’ activity in quite the same way that speech is. Speech is acquired by all normally endowed human beings without explicit instruction, whereas writing has to be taught after the basic grammar, phonology and lexicon of spoken language have already been largely mastered. In the experience of the child, writing is built up on already acquired knowledge of speech. (Milroy & Milroy 2002, 55)26

33Comme le montrent effectivement les travaux en acquisition : « la plupart des enfants maitrisent les structures de base de leur langue maternelle aux environs de 4 ans » (Kail 2012, 3). Bernicot & Bert-Erboul (2014, 77) précisent que « l’acquisition des aspects structuraux (phonologie, sémantique, morphologie et syntaxe) du langage est réalisée jusqu’à l’âge de 6 ans sans apprentissage explicite dans le cadre des interactions orales entre l’enfant et son entourage » et, déjà, « à l’âge de 6 ans, le vocabulaire est de l’ordre de 10 000 mots » (2014, 62). En somme, même si « l’apprentissage explicite de la langue écrite pès[e] certainement sur les développements ultérieurs de la langue orale » (Bernicot & Bert-Erboul 2014, 77) (voir à cet égard Jisa, Ailhaud, Chenu & Mazur-Palandre 2016 ; Simon 1973, 167-168), à moins de postuler chez l’enfant une restructuration conséquente des fonctionnements langagiers déjà acquis sans accès direct à l’écrit, il faut admettre que tous les développements ultérieurs reposent sur l’existence d’un socle langagier déjà complexe et parfaitement opérationnel, à fortiori s’il s’agit de fonctionnements simples comme celui de la morphologie de l’adjectif (voir tableau 7)27. L’option (i) est alors probablement suffisante pour l’analyse du comportement morphologique des adjectifs en français. L’option (ii) parait intrinsèquement difficile à mener dans l’absolu dans la mesure où la langue écrite impose la lecture, et convoque nécessairement d’une manière ou d’une autre – même quand elle est silencieuse28 – la dimension phonologique de la langue orale (Ferrand & Ayora 2015, 65-77). Même si, dans le cas de la morphologie, elle revendiquait – explicitement ou tacitement – les ambitions de l’option (i), l’option (ii) resterait tributaire de l’opacité de l’orthographe française (Jaffré 2008, 89-91), et aboutira davantage à la description du fonctionnement du système d’écriture (et l’extension des paradigmes engendrée par l’orthographe gram|maticale, voir Chervel 1973, 88) qu’à celui de la langue. Si le linguiste opte pour (iii), il devra alors prendre des précautions épistémologiques pour tenir compte de la primauté de l’oral, tout en évitant d’enchevêtrer les niveaux d’analyse, en oscillant, comme on l’a vu, entre descriptions de l’oral et de l’écrit. En effet, si des recoupements existent, des dissimilitudes s’avèrent plus ou moins grandes selon la dimension traitée. Béguelin (2012, 46) en propose la synthèse suivante :

Domaine de faits Autonomie du parlé et de l’écrit Commentaires
segmentation oui Pas de recoupement entre prosodie et ponctuation.
ambigüités oui Oral et écrit se caractérisent par des discriminations spécifiques.
morphologie oui Tendanciellement, il y a deux morphologies typologiquement différentes pour le français parlé et le français écrit.
syntaxe non Les différences constatées relèvent des genres du discours et des normes de genre, plutôt que du medium lui-même.
niveaux de langue non
rapport graphème-son oui et non Plutôt oui dans le cas de la lecture.
Plutôt non dans le cas de l’écriture (effet en français du « supplément » d’orthographe).
Tableau 9 – Les degrés d’autonomie du parlé et de l’écrit (Béguelin 2012, 46)

34Si la question de la nature de l’objet-langue (oral ou écrit) a donné lieu à de nombreuses discussions (voir à cet égard les travaux essentiels de Blanche-Benveniste 2000; 2010 ; Gadet 1996; 2007), en revanche – en dehors de la problématique propre aux conventions de transcription (Gadet 1996, 21-34 ; Mondada 2000) –, la nature de la langue-outil et son impact sur la description ne suscitent guère de développements épistémologiques ou méthodologiques de la part des linguistes (mais voir Apothéloz 2002, 139-147 ; Dixon 2010, 66-68). Pourtant, dès que le linguiste développe ses raisonnements par écrit, il se retrouve soumis aux contraintes imposées par la matérialité de ce mode d’expression, rendant impossible d’y faire figurer, sans transcodage, la consistance de l’oral. Dans une société fortement alphabétisée comme la nôtre, le linguiste29, à l’image de tout scripteur aguerri, aura naturellement tendance à recourir à l’orthographe, représentation commode à la fois pour lui et le lecteur : « we have interiorized the technology of writing so deeply that without tremendous effort we cannot separate it from ourselves or even recognize its presence and influence » (Ong 1986, 24). Pourtant, aussi familière que puisse nous paraitre cette orthographe, un tel choix est susceptible d’entrainer d’importantes restructurations de la donnée orale originelle. En écrivant « les adjectifs qualificatifs sont variables en genre et en nombre (grand/grande/grands/grandes) », Riegel et al. (2009, 227) présentent visuellement quatre formes, dont l’existence même relève uniquement du fonctionnement propre au système d’écriture du français. Non seulement la donnée sonore originelle était dès le départ condamnée à ne pas pouvoir apparaitre, mais le transcodage orthographique adopté en a de surcroit altéré la structure, alors qu’une transcription phonétique aurait permis de la préserver pour les besoins de l’analyse morphologique. Notre habituation à l’orthographe nous masque en partie les biais qu’elle introduit. Ainsi, le lecteur considèrera-t-il sans hésitation que la forme unique <marron> indique, selon la norme30, que l’adjectif est invariable, et qu’il en serait autrement de <noir>, <noire>, <noirs>, <noires> avec ses quatre formes. Pourtant, à l’instar de la majorité des adjectifs du français, pour le locuteur et son auditeur, [maʁõ] et [nwaʁ] sont invariables.

35La description de l’adjectif n’est pas la seule à être touchée dans la morphologie. Ainsi, Gross (1968, 11) explique que le futur simple « est construit sur la forme infinitive des verbes », qu’il illustre notamment avec l’exemple « mange(r) (ai+ as+ a+ ons+ ez +ont) ». Plus récemment, Maingueneau (1999, 101) recourt à la forme écrite « boxera », et explique lui aussi que « le futur simple peut s’analyser comme la combinaison de l’infinitif boxer- et du présent de l’auxiliaire avoir : ai, as, a, av-ons, av-ez, ont ». Or, ces explications, qui renvoient directement à la grammaire scolaire traditionnelle (Bled, Bled & Berlion 2010, 119), ne fonctionnent qu’orthographiquement. Scientifiquement, elles sont fausses en synchronie. La combinaison des infinitifs [mãʒe] et [bɔkse] avec [a], etc. donnerait erronément *[mãʒea] et *[bɔksea], etc. Pour trouver les formes attendues [mãʒʁa] et [bɔksʁa], etc., il faut partir non pas de l’infinitif, mais du radical du présent [mãʒ]/[bɔks], auquel on ajoute les désinences [ʁa], etc. Brunot (1932, 73) évoque l’origine déjà lointaine de cette formation : « le futur moderne est fait (depuis 1620 environ) sur le présent de l’indicatif à la première conjugaison » (voir également Riegel et al. 2009, 444 ; pour une étude approfondie, voir Surcouf 2014). En somme, si dans la lignée des pratiques multiséculaires de la tradition grammaticale, il parait simple et rapide de recourir à l’orthographe dans les descriptions, ne s’agirait-il pas là d’une forme d’insouciance ou de paresse épistémologiques que tout linguiste devrait interroger ?

many languages have a ‘traditional’ writing system which is less than fully adequate. For a linguist to use an inadequate traditional orthography is a lazy way out; unfortunately, some people do follow this practice.
[…]
if a student working on a previously undescribed language from Africa or New Guinea or Amazonia submitted their dissertation in terms of an orthography as inadequate as that used for English, it would be failed. But virtually every discussion of any point in English grammar follows the lazy person’s option. Sure, it’s familiar, but it is insufficient as the basis for scientific enquiry31. (Dixon 2010, 66 & 67)

36Les réflexions épistémologiques du Cours de linguistique générale nous invitaient déjà à de telles précautions :

le mot écrit se mêle si intimement au mot parlé dont il est l’image, qu’il finit par usurper le rôle principal ; on en vient à donner autant et plus d’importance à la représentation du signe vocal qu’à ce signe lui-même. C’est comme si l’on croyait que, pour connaitre quelqu’un, il vaut mieux regarder sa photographie que son visage. (Saussure (de) 1916/1994, 45)

37Pourtant, force est de reconnaitre que si on « veut le faire objet d’analyse, il faut bien donner à voir l’oral : la rivalité de l’œil et de l’oreille se solde par l’incontournabilité de l’œil » (Gadet & Mazière 1986, 59). L’important, épistémologiquement, c’est de ne pas se mettre le doigt dedans…

    Notes

  • 1 Présentée comme « synthèse régulièrement mise à jour de nos connaissances actuelles en linguistique s’appuyant sur une solide tradition grammaticale » (Riegel, Pellat & Rioul 2009, 4e de couverture), cette grammaire constitue l’ouvrage de référence par excellence. Si son succès éditorial – « 200 000 ex[emplaires] vendus » (2009, 1re de couverture) – s’explique aisément par la qualité et l’étendue des savoirs exposés, cette grammaire est d’autant plus intéressante à analyser que ses explications reflètent à la fois les avancées linguistiques et les attentes et représentations langagières des lecteurs qui la consultent. Rappelons par ailleurs le point de vue adopté par les auteurs, dont l’étude porte sur « la grammaire intériorisée, qui conditionne notre pratique langagière [et] ne se décrit clairement qu’au terme d’observations et d’analyses minutieuses, qui sous leur forme achevée et synthétique constituent une grammaire-description […]. Relèvent de ce troisième sens du mot grammaire les livres appelés grammaires, tel le présent ouvrage » (Riegel et al. 2009, 23).
  • 2 Rien n’oblige les auteurs d’une grammaire linguistique à reprendre une « formule consacrée », si celle-ci s’avère scientifiquement discutable (voir note 19).
  • 3 Un adjectif peut-il être considéré comme affecté par une variation, même si elle est scientifiquement inobservable ? (voir 2.2 et 2.5).
  • 4 Dans le corps du texte, les formes orthographiques seront indiquées entre chevrons.
  • 5 Allant d’ailleurs à l’encontre de la caractéristique qu’« on risque parfois d’oublier » : « une langue [est] d’abord et avant tout parlée ; et pouvant même n’être que parlée » (Riegel et al. 2009, XXX).
  • 6 « 80 à 85% des signes d’un texte quelconque sont chargés en français de transcrire les sons » (Catach et al. 1995/2010, 27).
  • 7 Mais l’étonnement de Séguin (1973, 54) et Catach et al. (1995/2010, 207) montre cependant la difficulté de prendre conscience de l’ampleur de cette absence d’homologie.
  • 8 Sans surprise, dans leur description de l’anglais, Biber, Johannson, Leech, Conrad & Finegan (1999, 57) ne mentionnent la variation de l’adjectif que pour les degrés de comparaison (purer, purest). Ni le nombre ni le genre ne sont évoqués puisque l’adjectif anglais est indiscutablement invariable à cet égard. Tel est également le cas de l’adjectif [pyʁ] du français pris en exemple ici.
  • 9 Nous n’aborderons pas la question délicate du rattachement de la liaison en [z] dans un énoncé comme [dəpyʁzanimo]. Trois grandes options théoriques coexistent, sans qu’aucune ne fasse consensus (voir Côté 2011 ; 2014, 11-13). Le [z] pourrait être un suffixe de pluriel de l’adjectif [pyʁz], un préfixe du nom [zanimo], ou fonctionner de manière indépendante avec un statut de consonne épenthétique.
  • 10 Un même adjectif peut d’ailleurs évoluer à cet égard : « sexy » passe du statut d’« adjectif invariable » dans l’édition de 2009 du Petit Robert, à celui d’« adjectif » dans celle de 2020, qui admet désormais le pluriel « sexys ». Comme l’illustre cet exemple, dans la tradition lexicographique et grammaticale, le qualificatif « invariable » relève davantage ici d’une injonction orthographique que d’une description linguistique.
  • 11 Pour un développement plus conséquent, voir Blanche-Benveniste & Chervel (1974, 174s).
  • 12 Remarquons l’usage de « notamment », ainsi défini par le Petit Robert : « D'une manière qui mérite d'être notée (pour attirer l'attention sur un ou plusieurs objets particuliers faisant partie d'un ensemble précédemment désigné ou sous-entendu) ».
  • 13 Un raisonnement analogue pourrait être utilisé avec des adverbes comme très, assez, etc., où, selon la même logique, l’alternance tout/toute dans « Il est très/assez/tout petit » et « Elle est très/assez/toute petite » mènerait à considérer que la « non-manifestation de l’accord (dans très, assez) ne doit pas faire penser que l’accord ne se fait pas », puisque « le choix d’un autre » adverbe « le ferait apparaitre ».
  • 14 Pour des raisons théoriques, on pourrait postuler l’existence de « morphèmes zéro ». Ainsi, au sein du paradigme de l’adjectif, supposé à quatre cases (X1, X2, X3, X4, voir Tableau 1), un adjectif à forme unique, comme [ʒon], aurait une forme masculin singulier X1 [ʒon], non-marquée, à laquelle s’ajouterait pour former X2 le morphème zéro Øf de féminin ‘[ʒon]+Øf’, le morphème zéro Øpl de pluriel pour X3 ‘[ʒon]+Øpl’, et enfin la conjonction des deux ‘[ʒon]+Øf+Øpl’ pour X4. Toutefois, « d'un point de vue épistémologique, poser des marques Ø […] est suspect, puisque cela revient à poser un segment, constituant ou marque segmentale, dont le signifiant est représenté précisément par une absence de segment, […] sous la pression de la théorie – ce qui comporte un grave risque d'invérifiabilité » (Lemaréchal 1997, 2). En dehors du caractère problématique d’inobservabilité, définitoire du morphème zéro, une telle modélisation théorique pose la question de son intérêt et de son cout théorique : « en disant qu'une marque vide permet à une unité d'assumer une certaine fonction, au lieu de dire simplement qu'elle est apte telle quelle à assumer la fonction en question, non seulement on dit de façon bien compliquée ce qui peut être dit plus simplement, mais surtout, on ouvre la porte à l'arbitraire le plus total dans la description d'une langue, et on supprime toute possibilité d'une réelle confrontation entre la théorie syntaxique et les faits des langues » (Creissels 1995, 70, note 3). Il faudrait par ailleurs s’interroger sur le possible biais scriptural (Linell 2005) induit par la présence d’une marque orthographique, qui bien que dépourvue d’équivalent audible, donne une forme de légitimité visuelle au morphème zéro. Toutefois, de telles considérations épistémologiques requerraient un long développement, inenvisageable dans les limites de cet article.
  • 15 Idéalement, comme le recommande Fenoglio (2012, 37), « si l’on veut entrer dans la démarche théorique elle-même, il faut ouvrir les manuscrits dont ils sont issus ». En l’absence d’accès aux manuscrits, nous proposons de reconstituer ici le raisonnement le plus probable.
  • 16 Comme l’argumentait déjà Saussure (de) (1916/1994, 44-45), l’écrit joue un rôle ambivalent dans la linguistique. On peut d’une part reconnaitre avec Auroux, Deschamps & Kouloughli (2004, 62) son rôle déterminant dans le développement d’une véritable réflexion sur la langue : « pour qu’il y ait sciences du langage, il faut que le langage soit placé en position d’objet. […] Le processus d’apparition de l’écriture […] est un processus d’objectivation considérable et sans équivalent antérieur ». D’autre part, dans son expression matérielle et nécessairement silencieuse, l’écrit impose des contraintes susceptibles d’influencer la manière de raisonner sur la langue. En ce sens, le linguiste doit impérativement garder à l’esprit – pour en pondérer les effets dans ses descriptions – que « toute pratique symbolique est déterminée par la matérialité de ses signaux, de ses organes et de ses outils. Ces déterminations, qu’on dira biotechnologiques, conditionnent le développement entier du système : le type d’action qu’il permet, son domaine de validité, sa structure sémiotique (ses niveaux d’analyse linguistique) » (Mahrer 2017, 39-40).
  • 17 Bien qu’il passe inaperçu à tout individu fortement alphabétisé, ce geste de consignation par écrit répond déjà à une double contrainte : la première résulte de la manipulation technologique imposée par la matérialité (silencieuse) de l’écrit (voir note 16), à laquelle se greffe l’exigence de conformité aux conventions de l’orthographe française (voir également Mahrer 2017, 13-14). Les effets de telles contraintes – notamment technologiques – peuvent occasionnellement donner lieu à une prise de conscience de la part du scripteur. Ainsi, bien qu’il désirait recourir à la transcription phonétique pour présenter les formes orales des adjectifs dans ses écrits, Séguin (1973, 53) se voit réduit à « opt[er] pour [son] propre système, établi dans les limites du clavier d’une machine à écrire française, et utilisant les ressources de l’accentuation ».
  • 18 Relative à l’usage des « morphogrammes ou "graphèmes de morphèmes", c’est-à-dire de désinences, flexions verbales, préfixes, suffixes, de dérivation, etc. Ces morphogrammes sont prononcés ou non, mais maintenus » (Catach 1978/2004, 54).
  • 19 Si par exemple l’avant-propos de la Grammaire méthodique du français stipule : « Sans renier les apports d’une longue tradition grammaticale, véritable réservoir de données empiriques et analytiques, les auteurs se sont résolument inspirés des acquis de la linguistique contemporaine et, à l’occasion, de ses plus récents développements », ils n’en écrivent pas moins, dans le cas qui nous concerne ici (nous soulignons), « selon la formule consacrée, "l’adjectif s’accorde en genre et en nombre avec le nom auquel il se rapporte" » (Riegel et al. 2009, 603), s’inscrivant effectivement dans la lignée de Bescherelle (1835-1836, 216), qui, au début du XIXe siècle, expliquait déjà : « Dans toutes les circonstances, l’adjectif s’accorde en genre et en nombre avec le nom auquel il se rapporte et qu’il qualifie ».
  • 20 Voir la question de la « primauté de l’oral » présentée par Lyons (1972, 62-65), et pour une critique, voir Harris (2008).
  • 21 Même si l’invention du phonographe par Edison en 1877 marque le début de nombreux développements technologiques permettant l’enregistrement sonore (pour un aperçu chronologique, voir Surcouf & Ausoni 2021 ).
  • 22 « L’oral n’est fait écrit que moyennant une transsubstantiation (passage de l’acoustique ou graphique) et un transcodage (d’unités sonores en unités graphiques). Ces transformations impliquent une sélection, et donc une élimination de certaines qualités du signal source, et une conversion dont le résultat dépend des propriétés matérielles et sémiologiques des systèmes graphiques cibles. Ces transformations seront plus ou moins préjudicielles selon qu’on travaille sur la structuration segmentale de l’oral ou sur des aspects pragmatiques indissociablement liés à la situation de l’orateur » (Mahrer 2017, 13-14).
  • 23 Si la Grammaire méthodique du français ne mentionne pas explicitement la dimension phonique dans la définition du morphème (Riegel et al. 2009, 890), les références bibliographiques auxquelles renvoient les auteurs – (Gleason 1961, 51s ; Martinet 2008 [1960], 39) – le font. Dans La grammaire d’aujourd’hui, toutes les décompositions morphologiques fournies sous l’entrée « morphème » le sont sous forme de transcription phonétique (Arrivé et al. 1986, 391-392).
  • 24 Les quatre adjectifs à deux formes orales [bo]/[bεl], [nuvo]/[nuvεl], [mu]/[mɔl], [fu]/[fɔl] ont cinq orthographes, soit, par exemple, <beau>, <beaux>, <bel>, <belle>, <belles>.
  • 25 La base de données, que nous avons retravaillée dans Excel pour notre étude, est téléchargeable sous format .csv en Unicode UTF8 (http://www.llf.cnrs.fr/fr/flexique-fr.php ; 28/12/2020). Elle a été compilée à partir de Lexique (New, Pallier, Ferrand & Matos 2001), et comprend les variantes orales en genre et en nombre, transcrites en phonétique.
  • 26 Phylogénétiquement, sans surprise, « par le développement d’aires cérébrales spécifiques, le langage parlé semble être beaucoup plus prédisposé biologiquement que ne l’est la modalité d’expression écrite » (Ferrand & Ayora 2015, 8) (voir également « l’hypothèse du recyclage neuronal », comme exaptation pour la lecture chez Dehaene 2007, 196-200). Ferrand & Ayora (2015, 74) précisent par ailleurs que « la primauté de la parole sur l’écrit au cours de l’acquisition de la parole donne lieu à des connexions plus solides entre la phonologie et le niveau sémantique. Le système orthographique des lecteurs se développe seulement plus tard, en venant se greffer sur le système du langage parlé déjà existant. L’orthographe, considérée comme représentant le langage parlé, est plus fortement liée à la phonologie qu’à la sémantique ».
  • 27 Le fait même que « l’apprentissage de l’orthographe du français nécessite au moins une dizaine d’années » (Wolfarth, Ponton & Brissaud 2018, 209), et que beaucoup de scripteurs adultes éprouvent des difficultés pour les accords inaudibles semble confirmer que l’invariabilité morphologique de l’adjectif, caractéristique du fonctionnement de la langue orale, reste le principe de base. En effet, si l’apprentissage de l’orthographe grammaticale complémentait voire remodelait la conception naturelle de la morphologie adjectivale acquise par tout locuteur durant son enfance, alors comment expliquer que même après plusieurs milliers d’heures de scolarisation, « des élèves […] très proches de leur entrée dans le monde professionnel, rencontrent encore des difficultés à traiter des questions d’orthographe grammaticale qui pourraient passer pour élémentaires, étudiées dès l’école primaire » (Le Levier & Brissaud 2020, 12) ? (voir également Pach, Jacquemin, Millet & Billiez 1994, 64).
  • 28 La « correspondance relativement invariante entre les représentations orthographiques et les représentations phonologiques explique que la lecture silencieuse repose nécessairement sur la phonologie » (Ferrand & Ayora 2015, 74).
  • 29 « linguists are […] representative of literate society at large where writing provides the model for speech, rather than the other way around » Coulmas (2003, 14).
  • 30 Une recherche sur internet de « chaussures marrons » offre de très nombreux résultats…
  • 31 Mais comme le confesse lui-même Dixon (2010, 90) dans les notes de fin de chapitre : « Do as I say, not do as I do. I’ve been as remiss as anyone in not using a fully phonological orthography in discussion of English grammar ».

References

Le statut de l'écriture

2012

Marie-José Béguelin

in: Claire Blanche-Benveniste, Sylvain-les-Moulins : Gerflint

La langue parlée

2003

Claire Blanche-Benveniste

in: Le grand livre de la langue française, Paris : Seuil

L'orthographe

2004

Nina Catach

Paris, Presses Universitaires de France

French liaison

2011

Marie-Hélène Côté

in: The Blackwell companion to phonology, Oxford : Blackwell

Éléments de syntaxe générale

1995

Denis Creissels

Paris, Presses Universitaires de France

Nouvelles approches en morphologie

2003

Bernard Fradin

Paris, Presses Universitaires de France

Speech and writing

2008

Roy Harris

in: The Cambridge handbook of literacy, Cambridge : Cambridge University Press

Écriture et orthographe

2008

Jean-Pierre Jaffré

in: Orthographier, Paris : Presses Universitaires de France

L'acquisition du langage

2012

Michèle Kail

Paris, Presses Universitaires de France

Zéro(s)

1997

Alain Lemaréchal

Paris, Presses Universitaires de France

Human language

1972

John Lyons

in: Non-verbal communication, Cambridge : Cambridge University Press

Writing is a technology that restructures thought

1986

Walter J. Ong

in: The written word, Oxford : Clarendon Press

La Langue écrite de l'enfant

1973

Jean Simon

Paris, Presses Universitaires de France

This text is available for download in the following format(s)

TEI-XML

This document is available at an external location. Please follow the link below. Hold the CTRL button to open the link in a new window.